mardi, décembre 27, 2005

Quand il n'y a plus de mots.

Les semaines passent, le temps glisse, l'émerveillement ne tremble pas.

J'appréhendais Noël, et tout s'est bien passé. Bien sur, Noël sans la famille, la messe, la bonne bouffe, l'alcool, les fou-rires et les discussions politiques, ce n'est pas excatement Noël, pour moi. Pourtant, je ne suis clairement pas à plaindre. Invité le 24 par une famille d'accueil, et le 25 dans la famille de mon ami Hunter, j'ai eu les chants de Noël, les cadeaux, les enfants qui rient, les familles qui se retrouvent. J'ai surtout eu les paysages fantastiques des tropiques, qui me bercent depuis maintenant plusieurs mois.

En route pour Kailua, j'ai vu le soleil s'en aller derrière les montagnes, j'ai senti monter les odeurs de la forêt et de la mer, j'ai roulé avec des oiseaux qui claquaient l'air de leurs battements d'ailes. Une première étoile s'est accrochée au ciel, en point final du jour. Au retour, la nuit s'était posée tout autour. J'ai roulé en sens inverse, sous les étoiles venues parfumer le ciel. Il faisait froid. Tout était noir, et le phare tout seul baladait sa bougie à la surface de l'océan vide. Partout dans le ciel, des cristaux de sel éclairaient le gigantesque miroir où l'homme trop petit ne peut pas se voir.

Les deux jours qui ont suivi, je suis retourné surfer avec Bruce. Une fois de plus, la surprise est encore au rendez-vous. J'ai fait beaucoup de progrès et chaque jour désormais, je me réveille avec une douche océane. Le plaisir est variable: vent, vagues, fatigue, habileté. Aujourd'hui, spectacle sensationnel.

Nous sommes dehors sur l'océan, en attendant les vagues. Tout à coup, j'aperçois un animal à quelques mètres. Une tortue, sûrement. Soudain, un souffle lourd, un ronflement sourd, à ma gauche. Je me retourne, et sa tête est hors de l'eau, à trois mètres de distance. Ses naseaux impressionants refoulent l'air puissamment. Il nous regarde, sans bouger, droit dans les yeux. Les siens sont noirs, opaques, et luisants tout à la fois. Sa tête est ronde, son museau aussi. C'est un phoque, un phoque magnifique et effrayant, sauvage et beau. Il plonge. Il a disparu. Il réapparaît un peu plus loin, puis plus tard, près du bord, puis plus au large. Majestueux, gracieux, naturel.

A la peur première succède en un instant la joie de voir un être si beau, si rare. Il n'est pas dans ma télé, il n'est pas dans un aquarium, il n'est pas à quelques centaines de mètre sur la plage. Il est juste là, et il est venu voir qui nous étions, ce que nous étions. Nous sommes dans le même monde. Probablement nous a-t-il pris pour des phoques. Les requins sont réputés pour attaquer les surfeurs, car ils les prennent pour des phoques. Je n'en sais rien, mais Bruce et moi-même restent un long moment sans bouger. C'est un Monk Seal, espèce hawaiienne en voie de disparition. Il est interdit de les toucher, de les suivre, de les approcher. Cette fois, c'est lui qui est venu.

Nous avons continué à surfer, et, pour que le jour soit parfait, j'ai commencé à développer de nouvelles techniques. Bruce était presque plus excité que moi. Une vague qui m'a attrapé de côté m'a fait pivoter, et j'ai surfé en sens inverse. Je me suis de nouveau retourné et ainsi remis dans le sens de la marche. Je n'ai pas fait exprès la première fois, mais constatant le plaisir de la sensation, j'ai essayé de reproduire le mouvement, intentionellement cette fois. Et j'y suis arrivé. Je me suis élevé sur le dos d'une vague, et, en chutant, j'avais assez de vitesse pour tourner à 180 degrés. Tout à coup glissant à l'envers, j'ai planté la pagaie a la verticale dans l'eau et j'ai pivoté de nouveau, en glissant toujours. Ebouriffant.

Autant dire que le plaisir est complet. Je suis bien.